SOUVENIRS DE CARNAVAL AU PALAIS NATIONAL DE MICHELE BENNETT DUVALIER.
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Avec Jean Claude, on avait toujours plaisir à regarder le défilé du Carnaval de la pelouse du Palais National. Je me souviendrai toujours du Carnaval de l'année 1985. Pas parce que c'était notre dernier, mais par l'ambiance qui y régnait. C'était la fête. Le peuple était en liesse. C'est à croire que ca allait être la fin du monde et qu'il fallait en profiter un max! Le sourire était sur tous les visages.
La musique des différents orchestres était entraînante. Difficile à dire lequel de ces groupes musicaux était le meilleur. Entre les Frères Déjean de PétionVille, le "Toro" de Coupé Cloué, "volé courant" de DP Express, "kasket sou tète" de Scorpio, "respecter Toto Demosthenes" de Bossa Combo, Shoogar Combo, Tropicana et Tabou Combo, d'ailleurs ces derniers parcouraient Port-au-Prince depuis le vendredi sur le char des frères Acra pour mettre l'ambiance avant le jour d'ouverture du Carnaval. Les Difficiles de PetionVille de mes amis Robert Martino et Henri Celestin, et les Gypsy étaient les idoles de notre jeunesse. Peut être que j'en oublie certains orchestres, Ils me pardonneront.
Impossible de rester assis. Le spectacle était la devant nous. La foule des bandes à pieds se serraient les uns contre les autres. Hommes, femmes dansant lascivement, transpirant, avançaient collés serrés en se déhanchant au rythme de la musique tout en montant devant le Palais. L'ambiance était bon enfant et à la fête. Cette promiscuité de la foule, certes, créait des liens intimes entre hommes et femmes qui aboutissait pour certains 9 mois après, à ce que j'appelais le baby boom du Carnaval. D'ailleurs on s'y préparait à attendre ces naissances à l'Hopital Materno-infantile de Bon Repos que j'avais construit avec ma Fondation.
Malgré le soleil et la chaleur, on s'installait sur la pelouse du Palais des 16h avec les enfants déguisés en cow-boys et indiens, mes sœurs Joan, Chantal et leurs maris et enfants, mes frères Ti Nes, Frantz, Rudy, Ronald et quelques amis. Mes parents, Ernest et Aurore, quant à eux, préféraient rester sur leur stand situé à une cinquantaine de mètres du Palais. Toujours sur la pelouse, étaient posé des glacières remplies de bouteilles d'eau, de boissons gazeuses, bières, rhum, champagne et scotch. Notre chère Madame Wawa nous préparait toujours ses fameux petits plats traditionnels du carnaval, griots, poulets frits, tassots de cabrit, riz pois collés, riz djonjon, bananes pesées, acras, chiquetaille de morue, sandwichs variés de viande, spam ou jambon, le tout accompagné d'un bon picklise. Pour les sucreries, les fameux beignets à la banane, baba au rhum et des petits gâteaux.
Les chars se succédaient les uns après les autres. Suivis de bandes à pieds ou de groupes déguisés. Les bandes de "Charles Oscar" et des "morts vivants" me faisaient toujours peur depuis que j'étais petite et ça n'avait pas changé. Le groupe des "dames gros bonda" m'amusait beaucoup, car la plupart était des hommes déguisés en femme avec les fesses et les hanches proéminentes. C'était un plaisir des yeux que de regarder le spectacle des différentes troupes folkloriques. Quand aux groupes des "jambes de bois" et dès clowns , il faisait la joie des enfants, lesquels entre deux attractions, s'amusaient à tirer des petites flèches à ventouse, ou avec leurs pistolets à eau, sur les soldats de la Garde Présidentielle qui s'arrachaient les cheveux avec eux.
Je trouvais aussi très sympa le groupe des motocyclistes avec à leur tête Yonyon, le nain, qui faisaient leurs pirouettes devant le Palais. J'ai eu la grande surprise de revoir Yonyon a l'Eglise des Frères de Saint-Louis aux funérailles de Jean Claude. J'étais tellement émue que je l'ai serré dans mes bras et je l'ai présenté à Nicolas et Anya. Il m'appelait toujours Manmi et je lui disais que j'étais trop jeune pour qu'il m'appelle ainsi. Mais rien à faire. Ce jour là, il raconta à mes enfants qu'il possédait toujours cette petite maison que je lui avais offerte à Petite Place Cazeau, village que j'avais construit dans les Années 80 et qui existe toujours.
Le char du Ministère du Tourisme était toujours très bien décoré et accueillait très souvent des Reines de beauté. Ces filles étaient sublimes de beauté et ce char avait beaucoup de succès surtout avec la gent masculine qui ne tenait pas en place sur la pelouse. Mon petit frère Ronald, toujours célibataire à l'époque venait d'arriver de Bruxelles où il faisait ses études. Nano trépignait sur place, l'eau à la bouche, à admirer ces jeunes beautés créoles qui saluaient de loin avec des baisers en notre direction. Ronald était un grand coureur de Reines de beauté devant l'Eternel. À ce moment là, il ne pouvait s'empêcher de saisir une bouteille de champagne, des verres et de partir retrouver le char en question pour trinquer avec ces jolies demoiselles! Cela nous faisait rire, car il revenait avec son t-shirt trempé, débraillé après avoir pris quelques coups de "gagan" dans la foule. Ah! Ce cher Nano! Il rééditait le même coup pendant les trois jours. Incorrigible! On disait souvent que pendant le carnaval, tous les couples se disputent et se rabibochent après. Combien de fois ai-je entendu parler d'un mari qui disparaissait pendant les 3 jours du Carnaval et refaisait surface seulement le mercredi des Cendres. Mais il n'y avait pas que mes frères ou les amis qui avaient les yeux baladeurs ou des velléités de jouer au plus fin pendant le carnaval! Jean Claude aussi! J'ai déjà vu des jeunes femmes accrochées aux grilles du Palais pour attirer son attention. Du jamais vu! Le dernier jour, j'ai même vu une de ses ex-copines, une griméle, capable d'éclairer le Champ de Mars à elle seule! Vêtue dans une tenue des plus indécentes, elle s'est donné en spectacle à la foule massée devant le Palais en grimpant à la grille et criant le nom de JCD. Elle n'en avait rien à cirer des sentinelles qui lui demandaient de partir. Observant de loin la manœuvre de cette folle, je dis à Jean Claude que cette personne l'appelait et qu'il devrait peut être aller voir ce qu'elle voulait, il m'a regardé droit dans les yeux et m'a répondu: "Mais Mimi, tu te trompes, je n'ai jamais vu cette femme de ma vie! Je crois qu'elle s'adresse plutôt à l'un de tes frères ou à l'un de nos amis, ou à l'un des Officiers présent!". Quel toupet! Il a fallu envoyer un officier de la Garde Présidentielle aider cette femme à redescendre des grilles où elle a failli perdre son short qui lui arrivait au ras des fesses. Loool! Ah! Ces hommes! Mon père aussi y faisait des siennes de son côté. Combien de fois, ma mère a du aller le récupérer plus loin de leur stand! Car Monsieur avait repéré une jolie femme dans la foule. Tous incorrigibles!
Ma soeur Joan adorait faire rentrer sur la pelouse du Palais, un petit groupe de "Marchandes Feuilles". La spécialité de ces dames étaient les "gros mots". À chaque feuille dans leur panier, elles donnaient un nom et racontaient une histoire grivoise. Elles étaient comme des diseuses de bonne aventure mais tout dans un langage de charretière. Un après-midi, Jean Claude s'est approché pour écouter ce qu'elles disaient à Joan qui s'était mise à l'écart des oreilles chastes. Des qu'elles l'ont vu, elles ont perdu la parole! Et JCD de leur dire de continuer, mais rien à faire. Elles répondaient presque toutes en coeur: "Papa, Nou pas capable di bêtise devan ou, c Président ou yé". JCD s'éloignait en riant non sans avoir donné quelques billets à ces dames. Quand à Joan, elle apprenait si vite les leçons de ces dames, qu'à la fin de la consultation, c'est elle qui leur vendait des feuilles. L'élève avait dépassé le maître. Découragées, elles regardaient Joan en la toisant et disait "Tchuipp! Ou pas vlé vini avec nous lan bande lan pitit?"
Mon kif à moi et aux enfants, était de faire chercher les marchands de fresco et de ice cream en début de soirée. Ah ces boîtes jaunes roulantes de "Red Rose".J'adorais leur frutty bar! Les meilleurs. Je ne peux m'empêcher d'ailleurs d'avoir une pensée affectueuse pour mon amie Boubou Vieux Martin qui en était la propriétaire. Les enfants eux préféraient les esquimos, la glace recouverte de chocolat. N'étant pas une grande mangeuse, Et ne buvant pas d'alcool, je me délectais de fresco et de frutty bars.
Chaque chef de bande à pied était autorisé à rentrer au Palais saluer le Président. C'était une tradition que JCD avait lui même instaurée. Il leur faisait toujours un brin de causette, leur offrait à boire et à manger et il repartait toujours avec une certaine somme à partager avec les autres membres du groupe.
C'était toujours pendant le carnaval que je revoyais des amis perdus de vue ou que je ne voyais pas souvent. Chaque char s'arrêtait pour jouer un hymne ou une musique spéciale pour le Président. Beaucoup de membres du secteur privé avaient leur propre char décoré au nom de leurs entreprises avec à leur bord famille et amis, et souvent un orchestre ou un Dj à bord. A cette époque, c'était la joie de vivre et on se sentait en sécurité. Tous les chars s'arrêtaient devant le Palais pendant quelques minutes où l'ambiance était toujours à son paroxysme. J'ai connu cette ambiance sur un char quand j'étais jeune fille de 18, 19 ans, invitée par mes amis les Frères Coles et Madsen. À bord, on était un groupe d'amis, filles et garçons qui s'amusaient comme des fous et j'en garde de précieux souvenirs.
Le passage du Roi et de la Reine du carnaval était aussi assez remarqué. Le Maire de Port-au-Prince les accompagnait toujours pour venir nous saluer et prendre un verre avec nous le premier et le dernier jour des festivités.
Je garde précieusement dans un coin de ma tête ces précieux souvenirs du Carnaval de 1985 dont j 'ai voulu aujourd'hui en partager une partie avec vous. Haiti était la Perle des Antilles.
En écrivant ce texte, j'ai eu une grande pensée pour Jean Claude, Joan, Rudy, Didi, Brip, Gégé et Michael. Ils aimaient tous la vie et on les aimait. Ils nous manquent à tous.
Michèle Bennett Duvalier
Paris, France
Le 28 Février 2017
Paris, France
Le 28 Février 2017