UN DÉBAT QUI N’EN EST PAS UN DANS LE DOSSIER UCREF DU PRÉSIDENT ÉLU
Par Léo Joseph
Depuis qu’a rebondi le dossier de l’Unité centrale de référence fiscale (UCREF) de Jovenel Moïse, dès qu’il a été déclaré victorieux du scrutin controversé du 20 novembre 2016, il semble qu’un débat ait éclaté autour de cette affaire. Aussi les « magiciens» de l’intéressé ont-ils jugé opportun de lancer sa défense en tentant de jeter la confusion sur la nature du compte 0340 000272 hébergé à la Banque nationale de crédit (BNC). Mais cette explication simpliste ne devrait nullement impressionner ceux qui examinent le dossier en connaissance de cause, comme, par exemple, le juge instructeur Brédy Fabien, ou ceux qui ont une connaissance objective de la manière dont s’opère le système bancaire international et ses relations avec la Federal Reserve Bank des États-Unis d’Amérique.
Dans le cadre de cette controverse, les défenseurs du président élu ne doivent accuser personne de glisser des pelures de banane sur la route de leur poulain vers le Palais national, car ils n’auront qu’à faire face aux arguments factuels qu’ils prétendent ignorer eux-mêmes. À moins qu’ils se retrouvent en terrain inconnu, donc s’affichant en néophytes dans un domaine qu’ils ne maîtrisent guère. Dans ce dernier cas de figure, ils devraient laisser à d’autres la tache de sortir M. Moïse du gouffre de malheurs qu’il a créé lui-même.
Compte en dollars ou en gourdes, aucune confusion
Jovenel Moïse reçu par le président dominicain Danilo Medina. |
Mais l’argument du camp Jovenel Moïse relatif au compte en gourdes plutôt qu’en dollars de ce dernier est spécieux, car n’ayant aucune base institutionnelle. Puisque l’établissement d’un compte en banque, surtout en dollars, constitue un processus rigoureusement contrôlé. Particulièrement après l’attaque meurtrière et destructive perpétrée par des terroristes islamistes contre la Tour jumelle du World Trade Center de NewYork; aussi suite à la décision de tenir à l’œil ceux engagés dans le commerce illicite (drogue, armes et autres) s’évertuant à blanchir l’argent sale, ou les terroristes à la recherche de créneaux pour financer leurs attaques.
Certes, en vertu de l’accord du système bancaire international, les banques centrales sont requises de recueillir tous les trimestres les données des activités de toutes les institutions bancaires de leur juridiction, pour être présentées à la «Bank International Settlement » (BIS). Les banques centrales veillent à ce que les protocoles établis sont rigoureusement respectés, afin d’éviter les sanctions qui pourraient être appliquées en cas de violation. Dans ce cas, il est aisé de comprendre pourquoi la BNC avait alerté l’UCREF sur les dépôts irréguliers effectués sur le compte 0340 000272. Dans ce cas, pourquoi M. Doré et les autres proches du président élu, qui s’agitent, ne s’en prennent-ils pas à la banque elle-même ?
D’ailleurs, c’est la banque qui avait alerté l’UCREF sur les dépôts illégaux qu’avait faits Jovenel Moïse ayant déclenché l’enquête de cette institution sur lui. Non seulement Sonel Jean-Baptiste, l’actuel directeur de l’institution investigatrice, essuie les foudres des lieutenants du président élu, il est aussi l’objet de menaces de poursuite judiciaire pour avoir assumé les responsabilités qui incombent à l’organisme qu’il dirige consistant à enquêter sur les allégations de crimes fiscaux à l’encontre d’un citoyen ou d’une entreprise.
Les dénonciations qui avaient été faites originellement contre M. Moïse parvenaient à l’UCREF sous l’administration du prédécesseur de Me Jean-François. L’enquête était alors mise en veilleuse, suite à l’intervention directe de Michel Martelly, qui tenait à protéger son homme lige. Arrivé à la direction de l’institution, le nouveau patron n’a fait que se saisir d’un dossier qui était en souffrance depuis déjà plus de deux ans. En clair, donc, l’argument voulant accréditer la thèse de chasse aux sorcières ne tient pas.
L’avantage de Jovenel Moïse d’avoir des comptes en dollars
Homme d’affaires évoluant dans un environnement économique doté d’une monnaie instable, la gourde haïtienne, Jovenel Moïse n’a pas dû hésiter à utiliser le dollar américain comme outil d’exploitation commerciale. Il est donc tout à fait compréhensible qu’il passe par cette voie pour protéger ses avoirs, surtout quand les autorités bancaires et financières du pays renient leur responsabilité de stabiliser le marché de change. Aussi le raisonnement d’un économiste qui souhaite garder l’anonymat a-t-il toute son importance.
En effet, déclare ce technicien bien respecté « De 41 gourdes, en 2012, à 43 gourdes, en 2013, le taux de change de la gourde par rapport au dollar ne cesse de diminuer pour atteindre 63 gourdes en juin 2016. Avec une telle détérioration de la gourde, il est normal qu’un entrepreneur qui manipule beaucoup de fonds ouvre un compte en dollars pour protéger ses avoirs. Jovenel Moïse serait un parfait idiot s’il gardait beaucoup d’argent sur des comptes en gourdes ».
Autre considération du même économiste :
« Deuxièmement, au cas où une erreur s’est glissée à la BNC et qu’on n’arrive pas à déterminer si le montant global enregistré dans le compte 0340 000272 est en gourde ou en dollar, on peut facilement vérifier au niveau de chacun des 252 dépôts et des 152 retraits faits sur le dit compte en 2012 et 2013.
« Et s’il s’agit de comptes en gourdes, il importe de déterminer quelles activités peuvent donner des rendements de 5,559,914.50 gourdessur une période de quinze mois, soit du 16 janvier 2012 au 29 avril 2013 ».
Accompagnant le président élu Jovenel Moïse, Stéphanie Balmir Villedrouin avec
Jean-Claude Verdier, à
sa droite, et le fugitif Marc Antoine Acra, à sa gauche
|
Et l’économiste d’ajouter : «Enfin remarquons que le total de la liste des dépôts présentés à la page 12 du Rapport de l’UCREF fait 3,678,849 gourdes ou dollars et non pas 5,559,914.50 gourdes ou dollars. Où sont passés les deux millions qui manquent et dans quelle monnaie ?»
Jovenel Moïse s’est révélé au public
Si quelqu’un avait des doutes sur la personnalité du président élu Jovenel Moïse, il a l’occasion de se détromper en tenant compte de la manière dont il gère ses comptes en banque. Puisque quand un homme d’affaires a le toupet, en tant qu’émetteur d‘un chèque, de le faire à l’intention d’un bénéficiaire anonyme, il n’y a aucun doute qu’il donne dans des activités illégales et qu’il procède de cette manière afin de protéger ses alliés.
En effet, parmi les chèques émis par le président élu tiré sur ce compte en dollars hébergé à la BNC, deux sont faits à l’ordre de « Payez à quelqu’un ». Dans ce cas, il est possible que le Conseil d’administration de la BNC ait reçu l’ordre d’une haute autorité pour décider de passer outre aux règlements établis en matière de paiement de chèque. Dès lors, les responsables de cette institution collaborent-ils à la perpétration de crimes liés à ce paiement, notamment le blanchiment d’argent sale et les crimes connexes.
À la lumière de son comportement avec la BNC, Jovenel Moïse s’est révélé un homme d’affaires sans scrupule ni intégrité morale, et qui aura du mal à résister à la tentation de recourir à ces mêmes méthodes et à d’autres pires, si d’aventure il se trouverait en position de prendre des décisions au nom de la nation.
Mais si la BNC a commis une erreur volontaire ?
La plupart des intervenants dans le dossier, à la radio ou dans les journaux, tablent surtout sur le compte en gourdes ou en dollars de Jovenel Moïse, laissant très peu d’espace au blanchiment d’argent, qui peut se faire dans n’importe quelle monnaie. Aussi faut-il bien faire ressortir cette subtilité parce que, précisément, les défenseurs du président élu insistent pour dire que la compte 0340 000272 est plutôt en gourdes.
Mais quelle allure prendrait l’affaire s’il y a erreur dans le dossier et que le compte serait effectivement en gourdes, comme l’ont affirmé les gens de M. Moïse ?
En effet, quelqu’un qui connaît bien le dossier, à la BNC, a précisé que, comprenant que Jovenel Moïse était sous enquête de l’UCREF, le prédécesseur de l’actuel directeur de l’institution, qui avait acheminé le dossier à celle-ci, avait décidé d’envoyer le document tel qu’il était, bien que l’erreur qu’il comportait lui ait été signalée.
On affirme, à ce propos, que le président du Conseil d’administration pensait que c’était une bonne stratégie pour disculper Moïse. Car, dans son esprit, c’était un bon moyen de tirer le candidat du mauvais pas.
Mais le fait de maintenir un compte en banque en gourdes à la BNC, ou à toute autre institution bancaire où des clients effectuent des dépôts en argent liquide dépassant le seuil prescrit par la loi bancaire n’épargne pas le propriétaire du compte de l’accusation de blanchisseur d’argent sale.
En clair, le juge chargé de l’instruction du dossier devrait exiger que lui soient soumis tous les dossiers nécessaires pour rendre un verdict objectif uniquement sur le blanchiment d’argent dont le président élu est accusé.
L.J.
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