dimanche 25 novembre 2018

Réseaux sociaux: Moise Jean-Charles et les préjugés

Je ne fréquente pas les réseaux sociaux. Cette liberté qu’y trouve n’importe qui de dire n’importe quoi a des expressions parfois déroutantes.

Désobéissant à ma règle, j’ai pu constater sans étonnement la violence de certains commentaires concernant la maladie de Moïse Jean-Charles. Souhait de paralysie permanente. Rien que ça. Mais encore mieux : qu’il crève et qu’on en finisse. Le pire dans tout ça, c’est que l’on peut soupçonner les auteurs de ces textes d’avoir la même origine, le même physique que le leader détesté. Ils ont accumulé quelques petits biens, jouissent d’un petit statut social, sont devenus ainsi de petits notables plus conservateurs et malpolis que les grands pour lesquels ils se prennent. Tout kò yo se dan. Touchez pas à mon petit confort. Rien n’est plus minable que le conservatisme du nègre domestique qui, comme dans le Django de Quentin Tarantino, se croit aussi blanc, aussi riche que son maître.

Il y a des gens ici qui ressemblent à ce personnage. Tout ce qui leur rappelle leur origine modeste, les années de galère, les horripile. Leur petit commerce, leur petit français, leur petit anglais, plus créoles qu’ils ne l’admettent, leur petite famille qu’ils essaient de construire sur le modèle de la famille occidentale qui a du mal à se maintenir dans le centre même de l’Occident, leurs petits rituels plus mimétiques qu’originaux. Ils ont, sont, un petit quelque chose. Et que les ouvriers et les travailleurs des transports publics ne viennent pas les emmerder avec les grèves. Et que les paysans crèvent sans se plaindre ni se révolter, la tête penchée vers la terre. Tout est bien : « Ma fille fréquente une université privée, ma femme va à l’église, mon mari a un bon poste, nous avons une maison et on va parfois à Miami, la plus belle ville du monde. » Leur fils s’appelle Robert et leur fille Chantoutou. Ils n’aiment pas les pierres, la rue, les revendications, les syndicats, la gauche, Marx… Les femmes n’ont jamais entendu parler d’Alexandra Kollontaï ou de Rosa Luxemburg. Les hommes, Cristiano Ronaldo, les affaires courantes, une maîtresse ni trop instruite ni trop exigeante… et tout est bien. Comme dans la chanson de Brel : « ils ont inventé prisons et condamnés ».

Et casiers judiciaires et trous dans la serrure

Et les langues coupées des premières censures », « et c’est depuis ce temps qu’ils sont civilisés » et voudraient que « la raison d’État tue… à coups de bâton ». Le titre de la chanson : « Les singes… de mon quartier ».

Ils sont bons chrétiens de jour et mauvais vodouisants la nuit, mais l’humanisme des religions, de celle qu’ils affichent comme de celle qu’ils cachent, ne leur interdit pas de souhaiter la mort d’un homme. Au fait, sans l’avoir lu, ils sont voltairiens et voudraient « écraser l’infâme ».

L’infâme pour eux, c’est ce qui leur rappelle leur passé, leur enfance, et tout cri de colère contre l’ordre établi. Parmi les gens des classes moyennes, hélas, il en est beaucoup. Parcimonieux. Fielleux. Les singes… les singes… de mon quartier.


Antoine Lyonel Trouillot

Aucun commentaire:

Publier un commentaire