jeudi 15 février 2018

UN BON PROCÈS PÉTROCARIBE: UN IMPÉRATIF DANS LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION EN HAITI


 Par Edmonde SUPPLICE BEAUZILE

Présidente du Parti Fusion des Sociaux-Démocrates Haïtiens (FUSION)

Le spectacle déplorable que la majorité PHTK et ses alliés ont infligé aux citoyennes et aux citoyens qui ont veillé très tard mercredi dernier, dans l’espoir que les sénateurs allaient finalement accepter le rapport de leur commission d’enquête, a confirmé qu’il n’y a rien à espérer d’eux si l’on veut tracer un exemple dissuasif dans l’affaire Petrocaribe.  Avec le premier rapport de la commission éthique du Sénat nous avions cru voir poindre au bout du tunnel une petite lueur qui, l’espace d’un instant, nous a fait rêver qu’enfin justice serait faite au peuple haïtien et que celles et ceux qui ont lourdement endetté notre pays pour de longues années, allaient payer pour ce crime de lèse patrie perpétré avec la dilapidation des fonds du programme Petrocaribe.  

Les tergiversations qui ont suivi le dépôt de ce premier rapport et qui ont repris avec le second, laissaient entrevoir que ceux qui ne veulent pas que ce procès du siècle ait lieu, feraient tout pour enterrer le dossier.  D’ailleurs le Président de la République n’a pas hésité à avouer publiquement qu’il était intervenu personnellement pour faire obstruction à la justice et bloquer le processus.  Dans d’autres pays de la région, cela aurait suffi pour déclencher une procédure d’impeachment.  Les ténors de sa majorité n’ont pas manqué de monter au créneau et de se répandre dans la presse pour indiquer d’avance que le rapport finirait dans la poubelle.  La majorité PHTK et ses alliés en faisant voter à la cloche de bois une résolution transférant le dossier à la Cour Supérieur des Comptes et du Contentieux Administratif, croient avoir trouvé une voie de garage pour faire oublier l’affaire.

Mais c’est compter sans la détermination des démocrates de notre pays qui ont régulièrement pris position contre la corruption et réclamé la vérité sur ce que les gouvernements qui ont géré les fonds Petrocaribe ont fait de l’énorme dette qu’ils ont gaspillé, sans pouvoir montrer grand-chose pour les milliards de dollars dépensés.  La FUSION veut publiquement féliciter le citoyen Johnson Colin et son équipe d’avocats qui ont eu le courage de déposer formellement plainte et de saisir un juge d’instruction en vue de pousser les investigations et de monter un dossier solide contre celles et ceux qui de près ou de loin ont participé à ce hold-up.  La présomption d’innocence reste une règle de droit qui doit être strictement respectée dans cette affaire, il en va de la crédibilité de notre système judiciaire qui tient là une bonne occasion de redorer son image.

 Il est décevant de constater que l’institution parlementaire ne se soit pas montrée à la hauteur de cette noble tâche qui consistait à lancer un grand Procès Petrocaribe qui doit marquer le commencement de la fin de la corruption en Haïti.  A quelque chose malheur est bon.  Que serait-il advenu de ce procès si l’on avait dû s’en remettre à une Haute Cour de Justice contrôlée par une telle majorité, pour connaitre de cette affaire ?  Tous les protagonistes risquaient, hélas, d’être innocentés.  En affichant ouvertement leurs positions et en tentant par tous les moyens de bloquer un simple rapport, les sénateurs de la majorité PHTK et leurs alliés ont tout simplement éliminé toute possibilité pour que la Haute Cour de Justice soit saisie.  D’ailleurs il y a peu de chance de voir la large majorité PHTK à la Chambre des Députés agir différemment de leurs collègues du sénat et mettre en accusation leurs amis politiques sur qui pèsent de lourds soupçons.

 Il faut donc que l’action introduite par notre compatriote fasse son chemin et permette de suppléer valablement aux défaillances des parlementaires.  Il va s’agir d’un procès énorme. Plus de trois cent contrats, autant de firmes et de fournisseurs impliqués sans oublier les sous-traitants, des milliers de pages de documents, des centaines voire des milliers de personnes, fonctionnaires, entrepreneurs, banquiers, employés à interroger, des experts à mobiliser, des enquêtes approfondis à mener sur le terrain, des recherches à effectuer dans la comptabilité des firmes, dans leurs ordinateurs, dans les mouvements de fonds sur leurs comptes, dans leurs déclarations définitives d’impôts, des milliers de relevés bancaires à éplucher, des enquêtes à effectuer à l’étranger dans les paradis fiscaux au Panama, en Suisse ou ailleurs, etc.  Un bon procès Petrocaribe va prendre du temps et va coûter cher.  Le juge d’instruction à qui l’on va confier ce lourd et périlleux dossier est déjà débordé par des dizaines voire des centaines d’autres affaires.  Il lui faudra donc recourir à l’appui technique de nombreux experts nationaux et internationaux de haut niveau.  Nous devons admettre que notre système judiciaire ne dispose pas de toutes les ressources humaines, matérielles et financières pour faire face à cette tâche et encore moins des moyens pour garantir la sécurité de ceux qui auront à apporter leur collaboration.

 En dépit de la faiblesse de notre système judiciaire, je crois qu’il y a des juges honnêtes et courageux qui sont en mesure de prendre en charge le dossier et d’aboutir à un bon procès Pétrocaribe exemplaire, si on lui en donne les moyens.  Il faut pour cela que le Président de la République se ressaisisse, qu’il comprenne qu’il ne pourra pas protéger ses prédécesseurs indéfiniment et que dans l’intérêt du pays et dans le sien propre, il doit apporter un appui inconditionnel à la justice haïtienne pour la réussite de ce procès. 

Il va falloir de mettre de côté les postures nationalistes, prendre conscience de nos limitations et utiliser les outils internationaux qui sont à notre disposition.  En effet Haïti a signé et ratifié la Convention des Nations Unies Contre la Corruption les 12 décembre 2003 et 14 septembre 2009 et la Convention Interaméricaine Contre la Corruption les 29 mars 1996 et 14 avril 2004.   Ces deux conventions comportent des dispositions permettant l’obtention d’une assistance technique aux états signataires qui le souhaitent.  Il est certain que si le gouvernement haïtien en fait la demande, les Nations Unies (ONU) et l’Organisation des États Américains (OEA) sauront mobiliser les fonds pour recruter le nombre d’experts internationaux nécessaires, ayant la compétence et l’expérience indispensables en ingénierie, en comptabilité, en finance, en blanchiment des avoirs, en récupération de biens mal acquis et transférés à l’étranger, en fiscalité et autres spécialités, pour accompagner nos institutions de lutte contre la corruption et nos juges.  Il ne s’agirait en aucune façon de dessaisir la justice haïtienne et encore moins de  donner à des juges étrangers le pouvoir de juger des citoyens haïtiens.  L’assistance se limiterait à un accompagnement dans la conduite des enquêtes complexes, le montage de dossiers solides et la prise de décisions délicates légalement fondées et inattaquables.

Nous avons dans la région des exemples de pays qui ont sollicité et obtenu une assistance internationale.  En 2006 le Guatémala a signé avec l’ONU une Convention Internationale Contre L’Impunité au Guatémala (CICIG).  En 2015 c’était le Honduras qui signait avec l’OEA une Convention pour l’établissement d’un Mission pour appuyer la lutte contre la corruption et l’impunité dans ce pays.  La FUSION a choisi de prendre au mot le Président de la République sur sa volonté d’éradiquer la corruption dans notre pays.  Il est aujourd’hui face à ses responsabilités et à ses engagements pris à la face du monde.  Le temps n’est plus aux belles promesses.  Il doit maintenant passer à l’action et entamer rapidement des négociations avec l’ONU ou avec l’OEA pour mettre en place cette assistance technique dans le cadre du procès Pétrocaribe.  Après le passage en force des élus Tèt Kale et de leurs alliés, il n’y a pas d’autre issue.  Il faut une mobilisation majeure de toutes les composantes de la société haïtienne pour soutenir le juge qui va hériter du dossier et faire pression sur le pouvoir exécutif pour qu’il lui donne les moyens d’accomplir sa mission.

PEP AYISYEN, JWET POU NOU.

Port-au-Prince, le 15 fevrier février 2018

Edmonde S. Beauzile Présidente du PFSDH  

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