mercredi 27 juillet 2016

Carl Braun appelle les politiques haïtiens à être vigilants et proactifs

Carl Braun, PDG de la Unibank

Banque, blanchiment des avoirs, terrorisme : Carl Braun appelle les politiques haïtiens à être vigilants et proactifs                                                                                                  

Les banques américaines, canadiennes et européennes suivent une politique dite « de-risking » qui consiste à diminuer les périmètres de risques, surtout avec les clients qui ne leur rapportent pas beaucoup. Des contrôles bancaires plus stricts, dans le cadre de cette politique, et la crainte de lourdes amendes ont donc persuadé un nombre croissant de banques commerciales américaines de couper les liens avec leurs banques correspondantes dans la région caraïbe. Pour l’heure, si Haïti n’est pas encore frappée de plein fouet par les conséquences de cette politique, des pays de la Caraïbe, dont Belize, Jamaïque et Guyane sont déjà concernés.

Quelle est la situation d’Haïti ?

Intervenant sur les ondes de Magik 9, mardi matin, Carl Braun, président du conseil d’administration de la Unibank, a tiré la sonnette d’alarme. Une semaine plus tôt, l’économiste Pierre Marie Boisson avait fait pareil dans les colonnes du Nouvelliste. Carl Braun estime que durant ces dernières années, Haïti n’a pas été trop active dans le domaine antiblanchiment et de lutte contre le financement du terrorisme.

Il existe certes la loi de 2001, votée après beaucoup de pressions, rappelle Carl Braun, la loi 2011-2012 pour la BRH et la loi de la lutte antiblanchiment qui a pris beaucoup de temps pour être votée et qui demeure incomplète. C’est dans ce contexte que le Groupe d’action financière des Caraïbes (GAFIC), dans une note parue en juin, a jugé que certaines mesures prises par Haïti étaient correctes et a constaté par contre que le pays tarde à en adopter d’autres.

Le banquier indique qu’Haïti doit se pencher séance tenante sur les recommandations du GAFIC qui sont au nombre de cinq sous peine de subir une première sanction et de se retrouver sur une liste de surveillance. « Haïti n’en fait pas partie pour l’instant, ce serait dommage d’en pâtir », avertit Carl Braun.

Pour éviter d’être indexé, Haïti doit mener à bout la révision de son code pénal qui ne prévoit pas certaines sanctions que le droit moderne international réclame. Haïti doit corriger, clarifier les failles que renferment sa loi anti blanchiment. « Haïti doit faire tout son possible pour se mettre en règle avec les demandes de la communauté internationale », rappelle Carl Braun, qui en appelle à l’exécutif, au Parlement – les deux chambres séparément – et à l’administration de façon générale. « Il y a des mesures légales et des mesures administratives à prendre », précise-t-il.

A titre d’exemple, Carl Braun a cité la loi qui doit être prise pour moderniser le rôle et la structure de l’UCREF (Unité centrale de renseignements financiers) par rapport aux normes internationales des centres financiers et des centres d’intelligence financière. Ce dernier croit que la modification de cette loi rendra le champ d’action de l’UCREF beaucoup plus clair et beaucoup plus large.

« Je souhaite que les parlementaires prennent cela excessivement au sérieux. Il ne s’agit pas de la politique », exhorte le numéro un de la Unibank, qui évoque une affaire de gouvernance internationale pouvant avoir des répercussions néfastes sur des petits pays comme Haïti. Plus ces lois tardent à être votées, plus Haïti court le risque de figurer sur cette fameuse liste de surveillance du GAFIC qui peut aussi aller jusqu’à mettre en garde les banques correspondantes qui font des affaires avec les banques commerciales haïtiennes.

A ce moment-là, les banques étrangères pourraient décider que, vu la petite taille des économies de la Caraïbe, cela ne vaut tout simplement pas la peine d’écoper de lourdes amendes actuellement imposées par les régulateurs tentant d'endiguer le financement du terrorisme et le blanchiment d'argent.

Selon Carl Braun, la plus grande banque correspondante de la Unibank ne perçoit que 15 000 dollars par mois sur ses transactions avec la banque 5 étoiles, c'est peu et elle encourt des sanctions, reconnaît ce dernier, qui se targue qu’en 23 ans de correspondance bancaire la Unibank n’a jamais causé le moindre souci à aucun de ses partenaires étrangers. « La Unibank a établi des normes avant même que les cas de blanchiment deviennent loi en Haïti […] Elle a donc un peu calmé les velléités de ces banques à rompre avec Haïti », a fait savoir Carl Braun, qui informe de l’existence d’une division de conformité de 15 personnes au sein de la Unibank.

Par ailleurs, le banquier a pointé du doigt une autre épée de Damoclès qui menace Haïti. Il s’agit de la création, par décret en janvier dernier, du fameux centre financier de La Gonâve qui introduit la notion d’offshore banking en Haïti. « Ce sont des banques non réglementées qui n’ont pas même besoin que la BRH leur octroie une licence pour commencer à opérer », explique Braun sur les ondes de Magik 9, révélant que quand le décret a été pris, toutes les banques correspondantes l’ont appelé pour obtenir des éclaircissements.

« Le gouvernement haïtien jusqu’à présent n’a pas encore officiellement annoncé qu’il va déposer un projet de loi par-devant le Parlement pour rapporter le décret créant cette entité», constate Carl Braun, qui croit que rapporter le décret est une condition sine qua non de la poursuite de la lutte contre le blanchiment en Haïti. « La porte qu’il ouvre dans ce qu’on appelle l’offshore banking non régulé finira par détruire la réputation d’Haïti comme un pays, un système qui respecte les normes internationales et qui essaie de faire son travail de manière professionnelle. »

En ce sens, il appelle le gouvernement à prendre en main ses responsabilités en abrogeant le décret pris en janvier dernier par l’administration Martelly. « Tous les hommes politiques haïtiens – qu’ils soient au Parlement ou dans l’exécutif – doivent comprendre que cette question n’est nullement politique. Ce n’est pas une faveur qu’ils nous font. C’est une nécessité pour la continuité des affaires économiques de ce pays », clame Carl Braun.

Quelles conséquences pour Haïti si ce statu quo perdure ?

Les banques correspondantes ne sont pas légion, informe Carl Braun, mais la Unibank compte 6 correspondantes internationales : trois américaines, deux canadiennes et une européenne. Au cas où le pays traine les pieds pour adopter de nouvelles lois anti-terrorisme et antiblanchiment d'argent, une banque correspondante de la Unibank peut décider, par exemple, d’arrêter de faire la compensation électronique et donc de ne plus prendre de chèque sur le compte du client. Le client dans ce cas devra disposer des fonds pour effectuer un transfert mais ne pourra pas déposer un chèque tiré sur l’étranger dans son compte.

« Un client peut venir déposer un chèque tiré sur les Etats-Unis dans son compte à la Unibank parce que j’ai des relations de « clearing » avec les banques étrangères, c’est-à-dire je peux électroniquement recevoir le chèque en dépôt sur le compte du client ici en Haïti et faire une compensation électronique avec la banque étrangère et créditer le compte du client quand l’argent est disponible. Toutes les banques en Haïti ne peuvent pas le faire. Il faut avoir une relation spéciale avec la banque correspondante », avance fièrement Carl Braun, qui dévoile que la Unibank totalise plus de 850 000 clients, soit plus de 45% de tous les clients bancaires du pays.

Autre conséquence possible, les banques correspondantes peuvent ne pas permettre à la Unibank de continuer à vendre des chèques sur l’étranger. « La Unibank a deux ou trois banques américaines sur lesquelles elle peut tirer des chèques en dollars, deux banques canadiennes sur lesquelles elle peut tirer des chèques en dollars canadiens, etc. Elles peuvent restreindre ce service si elles pensent qu’elles courent un risque. »

S’agissant des transferts tournés vers l’extérieur, ils concernent essentiellement les commerçants. « Une banque correspondante avant de mettre un terme à la relation peut vous dire qu’elle n’accepte pas de transfert de moins de 5 000 dollars ou plus de 50 000 dollars et ensuite qu’elle veut une vérification de la provenance des fonds de l’expéditeur, celui qui paie. C’est très compliqué et très couteux. Donc cela va rendre la transaction plus difficile jusqu’à ce que la banque décide d’en finir avec la relation de correspondance. Donc, les moyens de paiement internationaux se réduiront et deviendront plus difficiles », explique Carl Braun.

Pour les transferts rentrants, il existe deux segments : les commerciaux et les individuels. Pour les commerciaux, c’est le même principe. Il y a des gens qui exportent, donc ils reçoivent des paiements. S’ils ne peuvent recevoir de paiements pour leurs exportations, ils ont beaucoup de problèmes.

Le segment le plus vulnérable, selon Carl Braun, c’est l’envoi de fonds des familles haïtiennes de la diaspora à leurs proches en Haïti à travers Western Union, MoneyGram, Unistransfer, etc. Si les banques internationales décident de ne pas recevoir les transferts de ces maisons de transfert, comment une personne en Haïti pourra recevoir l’argent envoyé à partir de l’étranger ? », se demande Braun, qui estime qu’il s’agit-là d’une affaire de survie nationale.

Il y a matière, selon lui, à être vigilant et proactif car les envois de fonds représentent notre plus grande source de devises par rapport à l’aide étrangère. Ils représentent deux fois nos exportations et valent quatre fois plus que l’aide étrangère octroyée à Haïti. Il encourage donc les hommes politiques haïtiens à ne pas jouer avec le feu en choisissant les bords du précipice.            

Patrick St-Pré, Le Nouvelliste

Aucun commentaire:

Publier un commentaire