Voici l'histoire et ma réflexion sur le FNE:
Taxes illégales sur les transferts d'argent et les appels téléphoniques!
Nous réclamons des comptes sur la gestion du Fond National de l'Education!
Dès son arrivée au pouvoir en Mai 2011, le président Martelly a créé deux nouvelles taxes, l'une sur les télécommunications téléphoniques et l'autre sur les transferts d’argent en provenance de l'étranger. La mesure a été prise de manière unilatérale par le chef de l’Etat sans qu’elle ait été discutée en conseil des ministres. Et en plus, aucun projet de loi y relatif n'a été soumis au Parlement aux fins de ratifications dans l'immédiat. Cette mesure est entrée en vigueur le 15 Juin 2011. Dans le cadre de l’application de la décision du président Martelly, les compagnies de téléphones effectuent un prélèvement de cinq (5) centimes sur chaque minute internationale. Quant aux maisons de transfert, elles prélèvent un montant de $1.50 (US dollar) sur chaque transfert d’argent en direction ou en provenance d'Haïti.
Nous notons aussi que ces taxes ont été imposées par M. Martelly de manière illégale et inconstitutionnelle. Elles visent particulièrement les haïtiens vivant à l’étranger que les politiciens ont toujours considéré comme une véritable vache à lait. En effet, depuis plus de six (6) ans, les gouvernements qui se sont succédés à la tête du pays, perçoivent ces taxes en dehors de tout cadre légal et sans aucune forme de transparence. D’ailleurs, l’argent collecté n’a pas été budgétisé. Officiellement, les fonds collectés dans le cadre de ces nouvelles taxes, devraient servir à financer l’éducation des jeunes haïtiens non scolarisés à travers le « Fonds National de l’Education (FNE) ».
D’après les calculs de l’Exécutif haïtien, ces taxes devraient générer chacune un montant de 180 millions de dollars sur une période de cinq ans pour la scolarisation de 1.5 millions de jeunes haïtiens sur la même période. Autrement dit, le pouvoir en place projetait de collecter un montant de 360 millions de dollars sur cinq ans afin de financer l’éducation de ces jeunes non scolarisés. Ceci illustre bien l’objectif du gouvernement de l'époque, en matière de scolarisation gratuite des enfants haitiens...
Selon des chiffres avancés à la fin du mois de Juin 2011 à New-York par le président Michel Martelly lui-même, « à raison de cinq centimes collectés par minute sur les appels internationaux, les compagnies de téléphones ont prélevé une somme de 100 mille dollars américains par jour pour le compte du FNE. » En fait, chaque mois, le Fonds National de l’Education encaisse au moins trois (3) millions de dollars américains. Si on multiplie trois millions par 60 mois (période allant du 15 Juin 2011 au 15 Juin 2016, soit cinq ans) cela fait une somme de 180 millions de dollars collectés par le régime, rien que sur la taxe sur les télécommunications.
Quant à la taxe sur les transferts d’argent en direction ou en provenance d’Haïti, elle devrait générer au moins cinq (5) millions de dollars américains chaque mois, selon les prévisions du chef de Mr. Martelly. En additionnant les 3 millions prélevés mensuellement sur les appels téléphoniques au 5 millions de dollars sur les transferts d’argent, on obtient un montant de huit (8) millions de dollars collectés chaque mois par le Conseil National des Télécommunications (CONATEL) et la Banque de la République d’Haïti (BRH). En fait, quand on multiplie les 8 millions par 60 mois (une période de cinq ans), cela fait un montant de 480 millions de dollars américains. Donc, Après cinq ans de de collecte, le gouvernement haïtien avait atteint largement ses objectifs au-delà même de ses espérances quand on sait que la démarche consistait à encaisser la bagatelle somme de 360 millions de dollars américains pour financer l’éducation des jeunes haïtiens. En effet, tout allait bien pour le régime Tet Kale. Au cours de cette période, les transferts d'argent sur Haïti coulaient à flot. Par exemple, selon le gouverneur de la Banque Centrale de l'époque, Charles Castel, les transferts d’argent sur Haïti ont connu une augmentation de 8% au cours de l’année 2013.
Cependant, nous relevons de nombreuses anomalies dans la façon dont les deux taxes sont perçues. Premierement, nous notons que la création de ces taxes viole la Constitution. L’article 218 de la Constitution dit clairement la façon dont il faut procéder pour créer de nouvelles taxes: « Aucun impôt au profit de L'État ne peut être établi que par une Loi. Aucune charge, aucune imposition soit Départementale, soit Municipale, soit Section Communale, ne peut être établie qu'avec le consentement de ces Collectivités Territoriales" (Constitution 1987, Titre VII). Il est vrai qu’un projet de loi relatif à la création du Fonds National de l'Education avait finalement été transmis au Parlement très tardivement, mais sa ratification par les deux chambres se fait encore attendre.
Deuxièmement, ces taxes revêtent un caractère discriminatoire. Elles concernent les haitiens de l'etranger qui, principalement envoient des fonds en Haïti au bénéfice de leurs familles et, dans une moindre mesure, les haïtiens vivant en Haïti qui financent l’éducation de leurs enfants étudiant à l’étranger. Nous estimons que, pour être justes, ces taxes devraient être appliquées à tout haïtien ayant un revenu quelconque en commençant par le président de la République. Les enfants d’Haïti ont besoin d’être éduqués pour garantir un meilleur avenir pour eux-mêmes et pour le pays. On est d'accord. Cela doit être un effort national auquel tous les haïtiens doivent participer dans la perspective d’une transformation de la société haïtienne. Les haïtiens d’outre-mer généralement tenus à l’écart de la sphère politique du pays, ne peuvent à eux seuls, supporter le fardeau de la scolarisation des enfants d’Haïti. C’est avant tout la charge de l’Etat. Et aussi, faut-il mentionner que le budget annuel de la République alloue toujours un montant pour le financement de l'éducation à tous les niveaux.
Troisièmement, la collecte et la gestion des fonds recueillis dans le cadre de ces nouvelles taxes se font de manière occulte. Les citoyens ne savent pas qui dirige le FNE et quel est leur statut et leur rémunération.
Quatrièmement, pour l'instant, les gouvernements qui se sont succédés à la tête du pays n'ont jusqu'ici communiqué de chiffres relatifs au montant collecté. L'utilisation des fonds collectés est gardée top secret. On se souvient à l'époque , l'ancien président Martelly avançait des chiffres qui ne correspondaient ni à ceux fournis par le gouverneur de la Banque Centrale et ni à ceux du Conseil National des Télécommunications (CONATEL). Par exemple, en Décembre 2012, Michel Martelly parlait de 16 millions de dollars collectés au nom du FNE par la BRH et le CONATEL après plus d’un an de collecte de ces taxes. Le 14 Décembre de la même année, le Conseil National des Télécommunications (CONATEL) informait avoir déjà collecté pour la période allant du 15 juin 2011 au 15 Février 2013, une somme de $ 43, 479, 902,36 dollars US auprès des compagnies téléphoniques pour le compte du FNE. Quel contraste!
Difficilement vérifiable par des sources indépendantes, dès 2013, le gouvernement affirmait avoir déjà scolarisé plus de 1.2 millions de jeunes haïtiens. A en croire la propagande officielle, le gouvernement était donc en passe d'attendre ses objectifs en moins de trois ans. Ces chiffres avancés par le gouvernement ont suscité et suscitent encore des commentaires les plus divers, voire des controverses. Des leaders d’organisations d’enseignants, des dirigeants de partis politiques, des responsables de la société civile ont mis et mettent encore en doute le nombre d’enfants scolarisés par le gouvernement dans le cadre de ce programme lancé à grand renfort de propagande. Il en résulte que, les haïtiens ont le sentiment d'avoir été trompé par les dirigeants Tet Kale, d'autant que PSUGO ( Programme de Scolarisation Universel Obligatoire n'existe plus. C'était le programme phare du gouvernement. Ce qui met en relief donc, la crise de confiance qui caractérise les rapports entre les gouvernants et les gouvernés.
En effet, sur ce sujet particulièrement et sur bien d’autres, les différents gouvernements successifs qui ont dirigé le pays au cours de cette période accusent un déficit grave de crédibilité et de confiance. Tenant compte des chiffres fournis par le Ministère de l’Education nationale, nous estimons qu’un bond significatif a été fait en matière de fréquentation scolaire en Haïti. En 2012 par exemple, le taux de fréquentation scolaire est passé à 77% , alors qu’il était de 50% en 2005. Cependant, nous relevons que le système éducatif haïtien reste confronté à d’énormes défis et que l’accès à une éducation de qualité demeure encore très limité et un luxe pour la majorité des jeunes haïtiens. Contrairement à la Constitution haïtienne et la déclaration universelle des droits de l’homme consacrant l’accès à l’éducation comme un droit fondamental et inaliénable, l’école demeure un luxe et un privilège en Haïti.
Selon le recensement scolaire réalisé en 2011, l’Etat haïtien satisfait à peine 20% de l’offre scolaire. C’est le secteur privé qui gère le reste, soit 80%, quasiment à sa guise. D'ou, une éducation à multiple vitesse. Une instruction avec des écoles congréganistes, des écoles internationales et certains établissements laïques qui sont pourvus de tout et répondent à des normes generaTandis que 70% en grande partie, de lycées, d'écoles communales, presbytérales et privées sont dépourvus de tout et offrent une instruction vraiment au rabais. En fait, nous croyons que l’Etat haïtien doit tout mettre en œuvre, sans parti prix social, pour garantir l’accès équitable à une éducation de qualité aux enfants d'Haiti, peu importe leurs conditions sociales. Nous estimons urgent que des mesures soient prises en vue du renforcement des structures de gouvernance et de régulation du système éducatif tout en garantissant l’amélioration de la qualité des services éducatifs. Il nous faut donc une école vraiment haïtienne pour former de véritables citoyens haïtiens pour Haïti. Le pays ne peut plus se payer le luxe de développer un système scolaire qui dénature ou détruit l’éducation !
Nous relevons aussi que le terme de la gratuité scolaire a été galvaudé et vidé de son sens et de son essence. Il est inconcevable de croire en la gratuité scolaire sans la construction massive d’écoles publiques, sans la formation de nouveaux enseignants y compris l'introduction d'outils technologiques dans les écoles du préscolaire au secondaire. Il faudrait, disent les experts, au moins 130 mille nouveaux enseignants pour assurer la formation des nouveaux élèves. Nous encourageons le partenariat secteur privé/secteur public. Mais quand l’Etat collecte des taxes illégales pour payer la scolarité de certains jeunes haïtiens dans des écoles privées, on ne peut parler de la gratuité scolaire. Il s’agit d’une subvention de l’Etat. La gratuité scolaire voudrait que l’Etat prenne en charge totalement l’éducation des enfants de la maternelle à la philo. Et cela interpelle nous interpelle, nous qui revendiquons le respect des droits de tous les haïtiens vivant en Haïti et à l’étranger.
La Constitution de 1987 fait de l’Etat Haïtien le garant du droit à l’éducation de chaque haïtien. Elle le dit clairement en son article 32-1 : « L'Education est une charge de L'État et des Collectivités Territoriales. Ils doivent mettre l'École gratuitement à la portée de tous et veiller au niveau de formation des Enseignants des Secteurs Public et Privé. » Cela revient à dire que, si l’Etat entreprenait de scolariser les jeunes haïtiens, ce serait une initiative louable.
Cependant, cela doit se faire dans le respect stricte de la loi. Et quand l’Etat ne répond qu’à environ 20% de la demande scolaire dans l'ensemble du pays, c’est une vraie anomalie et une violation de la Constitution. Cette même Constitution précise que : « La première charge de L'État et des Collectivités territoriales est la scolarisation massive, seule capable d'aider au développement du Pays. L'État encourage et facilite l'initiative privée en ce domaine (Constitution 1987, article 32-2, Titre III, Section F). » La Constitution ne dit pas que le secteur privé doit se trouver quasiment en position de monopole dans le secteur stratégique de l’éducation, mais plutot l’Etat. Toutefois, dans le cadre d’un Etat de droit et démocratique, l’Etat doit toujours encourager les initiatives du secteur privé. Et on est d'accord là-dessus.
Nulle part dans la Constitution il n’est dit que l’éducation est à la charge des haïtiens vivant à l’étranger. Mais bien celle de l’Etat. Et même si on définit l’Etat comme l’ensemble des citoyens d’un même pays, cela ne veut pas dire que les haïtiens d’outre-mer auxquels on refuse tout droit de participation et d’intégration à la vie politique, économique, sociale et culturelle du pays, doivent assumer entièrement cette charge. Evidemment, les haïtiens de l’étranger encouragent toute une initiative visant la modernisation et la dynamisation du secteur de l'éducation. Cependant, nous sommes opposés à toute forme de totalitarisme fiscal, d’abus de pouvoir et d’exploitation à outrance des haitiens de l'etranger. Et nous estimons qu’il est temps qu’on arrête de considérer les haïtiens d’outre-mer comme des pourvoyeurs d’argent, véritable une source intarissable pour financer toutes sortes d'opérations occultes entreprises par les politiciens. Pour nous les taxes illégales, discriminatoires et sélectives imposées arbitrairement par le régime « Tèt Kalé » (crâne rasé en français) sur la communication et sur les transferts d’argent constituent une forfaiture inacceptable.
Selon le Ministère des Haïtiens Vivant à l’Etranger (MHAVE), les haïtiens de l’étranger forment une population de 4.5 millions d’habitants (Mai 2013). L’apport de ces haïtiens à l’économie nationale est considérable, même s’ils sont encore privés de l’exercice de leurs droits civils et politiques en Haïti. En effet, la Banque Mondiale estime que les haïtiens d’outre-mer envoient chaque année plus de deux milliards de dollars en Haïti sous forme de transfert d’argent, de nourriture et autres. Il est vrai que cet argent ne contribue pas directement au développement du pays, mais il sert à diminuer la pression de la devise americaine sur la gourde (moniae nationale) et sur l’Etat qui ne peut pas donner du travail aux haïtiens. , faciliter une meilleure circulation de devise dans le système économique national.
De tout temps, les haïtiens de l’étranger ont toujours fait les frais de la politique mesquine, selective des gouvernements haïtiens. Ils sont livrés à eux-mêmes. En raison des taxes exorbitantes imposées par le gouvernement, le billet d’avion en direction d'Haiti revient le plus cher pour les haïtiens que pour tous autres ressortissants d’autres pays de la région Caraïbes. La situation est quasi similaire pour la communication téléphonique. Haïti est de loin le pays où la minute internationale est la plus chère. On dirait que les autorités haïtiennes seraient en train de tout faire pour décourager les haïtiens d’outre-mer à rentrer chez eux pour y investir. C’est surtout au niveau des services de douane que les haïtiens expatriés désireux de faire des affaires en Haïti sont les plus maltraités. Ils sont obligés de payer des taxes alors que le peu de service reçu est tout à fait grabataire et inacceptable. Un gouvernement éclairé devrait faure des haïtiens de l'étranger des partenaires privilégiés en matière d'investissements au lieu de les harceler économiquement.
En effet, quand il s’agit de dédouaner des marchandises, les compatriotes de l’étranger connaissent toutes les péripéties du monde dans le pays « open for business ». Le service n’est pas à point et ils sont souvent contraints de verser des sommes faramineuses à un réseau parallele de racketeurs mis en place pour les rançonner. Deux exemples pour illustrer cette situation.
D’abord, l’année dernière, un jeune haïtien vivant aux Etats-Unis a décidé d’investir dans le secteur du transport en commun en Haïti. Il a fait l'acquisition de deux minibus usagés, mais d’année plus ou moins récente et en bon état de fonctionnement au prix de 14 mille dollars américains. Une fois arrivée en Haïti, il lui a été demandé 20 mille dollars américains pour les dédouaner. N’ayant aucun contact avec le réseau de racketeurs, il a dû renoncer a dédouaner les deux véhicules et du même coup mettre une sourdine à son projet.
Deuxième cas, une quinquagénaire fait entrer un conteneur régulier en Haïti via le port du Cap-Haïtien. Après plus d’un mois de va-et-vient, elle parvient à dédouaner sa marchandise. Elle a payé 28 mille dollars haïtiens (140 000 gourdes) alors que le reçu qu’on lui a remis mentionne 72 mille gourdes. Autrement dit sur cette transaction, l’Etat encaissera probablement 72 mille gourdes alors que la victime a déboursé quasiment le double de ce montant.
Fort de toutes ces considérations, nous recommandons ce qui suit au gouvernement haïtien :
• 1. Etablir un cadre juridique et légal qui tient compte de tous les haïtiens sans distinction dans la collecte des taxes ayant un revenu (qu’ils vivent en Haïti ou à l’étranger) pour qu’ils contribuent au Fonds National de l’Education;
• 2. Publier régulièrement et sur une base mensuelle des rapports sur l’état de compte du Fonds National de l’Education (FNE) ;
• 3. Inclure l’argent collecté dans le budget de la République et assurer qu’il sert aux fins préposées;
• 4. Rendre la gestion du FNE transparente en incluant en son sein des représentants d’organisations d’enseignants, de parents et d'haïtiens d’outre-mer ;
• 5. Enfin, placer le FNE sous la tutelle du Ministère de l’éducation national au lieu du Palais national.
Francklyn B. Geffrard
28 Août 2016