Ces jours-ci, le président Jovenel Moïse ne devrait pas prendre ombrage si on l’appelle Albert Einstein. Il parle du lieu de ses certitudes, comme s’il était le premier des savants. Son propos, sur la promesse d’électrifier Haïti 24/24 dans 24 mois, n’est par exemple pas questionnable. « Le président a parlé, point barre!», a-t-il répété pendant trois interventions publiques ces dernières semaines.
Son penchant pour la pensée unique est ressenti et son petit agacement aussi face à la parole libre rapportée par les médias. Le président, dans sa superbe, oublie qu’il est le premier d’entre nous, mais surtout le premier des serviteurs. Par rapport à tout ça, certains écrasent une larme de regret, car Jovenel Moïse devrait être suffisamment pétri des idéaux républicains pour se rappeler que, dans une société ayant des aspirations démocratiques, la discussion est permanente, la divergence d’opinion également, même s’il appartient aux autorités de décider en dernier ressort.
Cela dit, le président Jovenel Moïse devrait savoir que son seul désir de couper court au débat sur la question ne suffira pas. Sur le fond de cette promesse d’électricité 24/24 dans 24 mois, il y a des zones d’ombre, un black-out. Le président veut augmenter la puissance, construire un réseau national pour électrifier le pays sans évoquer la réforme de l’Ed’H, compagnie longtemps mise en faillite qui ingurgite quelque 300 millions de dollars américains de subvention par an.
Dans l’état actuel de l’Ed’H, si les pertes techniques, le faible taux de recouvrement persistent en desservant seulement 30 % de la population, l’augmentation de la disponibilité de puissance creusera automatiquement le déficit public. L’innovation devrait être l’introduction de compteurs et de technologies pour augmenter le niveau de recouvrement. Les opérations des entreprises de téléphonie mobile et d’Internet montrent que le consommateur peut payer, est prêt à payer pour le service, l’électricité dans ce cas-ci. Partant du principe que le président Jovenel Moïse a vu juste en se proposant de changer la matrice énergétique du pays à travers l’exploitation d’autres sources d’énergie comme le solaire, l’éolienne, la biomasse, le gaz naturel, la question de la provenance des ressources pour financer l’application d’une politique énergétique bien étudiée, sérieuse, cohérente, sans démagogie, se pose.
Ces dernières années, l’essentiel des investissements dans le secteur a été consenti par des bailleurs de fonds internationaux. Les travaux de réhabilitation sur le réseau de l’Ed’H, la construction de sous-stations, la remise en état des trois turbines de la centrale hydroélectrique de péligre peuvent être cités en exemple.
Sans prendre de gant, Marie Barton Doc, représentante sortante de la Banque mondiale en Haïti, a récemment indiqué que la vision du président dans le secteur de l’énergie n’était pas clair. Ce qui est claire en revanche, ce sera le veto des bailleurs de fonds à tout investissement dans ce secteur sans réforme du secteur de l’énergie. L’État haïtien s’était engagé à effectuer cette réforme en échange d’appui budgétaire. En attendant, le président Jovenel Moïse ne peut tabler que sur l’octroi de concession pour que soient réalisés les grands investissements dans le secteur.
Pourra-t-il attirer des investissements directs étrangers, de nouveaux groupes d’investisseurs haïtiens ? Son administration pourra-t-elle engager l’État dans une ou des concessions bénéfiques ? En considérant l’absence de clarté évoquée par des coopérants étrangers et la brutalité avec laquelle le différend commercial entre le BMPAD et les trois compagnies pétrolières (Total, Dinasa-Rubis et Sol) a été traitée ces derniers jours, il n’est pas impossible que des ardeurs se refroidissent.
Brutalité et precipitation
Pour le moment, l’administration Moïse/Lafontant fait également preuve d’une certaine brutalité. Après avoir gagné la manche, s’assurer du soutien des syndicats en échange de gros avantages pour ces derniers, Jovenel Moïse, à Miami, a dit que la « République n’est pas morte » après cet ajustement à la hausse des prix des produits pétroliers à la pompe.
Si cet ajustement -nécessaire pour réduire le déficit public- a été fait, il a toutefois provoqué des contraintes et attisé des revendications pour une augmentation salariale de 800 gourdes au niveau de la sous-traitance textile. Les débrayages, les manifestations parfois violentes, les interventions musclées des forces de l’ordre risquent de provoquer la perte de quelque 400 millions de dollars d’investissement dans le secteur qui attend de connaître les recommandations du Conseil supérieur des salaires et la décision du président Jovenel Moïse, présenté comme un représentant de la droite dure, partisan du bas salaire pour les ouvriers haïtiens. Alors qu’on enfonce ce bonnet dans la tête du président Jovenel Moïse, son administration dépose un projet de loi 2017-2018 avec une kyrielle de hausses sur des taxes et des impositions.
Pour obtenir 93,4 milliards de gourdes de ressources domestiques, Jovenel Moïse, sans l’avoir dit lors de la campagne électorale, veut imposer l’effort fiscal. Si l’effort fiscal est nécessaire dans un contexte de diminution de l’aide publique au développement, de crainte d’un arrêt brutal de PetroCaribe à un moment où le Venezuela s’enlise dans une grave crise politique, les récalcitrants à l’impôt dégainent leurs arguments sur le déficit d’utilisation efficiente et transparente des contributions au Trésor public sur une longue durée.
Ces temps-ci, il est difficile de balayer leurs arguments d’un revers de main. Neuf mois après le passage de l’ouragan Matthew dans le grand Sud, le président Jovenel Moïse, occupé dans l’Artibonite jusqu’ici, a décrété l’état d’urgence sur la demande du Sénat de la République. Et pour le moment, le président Jovenel Moïse n’a pas encore communiqué sur les passations de marchés publics pour l’acquisition d’équipements pour la Caravane du changement que certains sénateurs font mine de critiquer après avoir recommandé à l’exécutif de décréter l’état d’urgence.
Au Parlement, beaucoup de mains pousseront pour l’avancement de la caravane du président Jovenel Moïse dans ce contexte d’état d’urgence, d’allègement des contraintes pour la passation de marchés publics, de la possibilité de pullulement de contrats de gré à gré. Avec ce Parlement acquis à la cause du président, personne ne sait si la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif, la Commission nationale de passation de marchés publics pourront jouer leur rôle de garde-fou.
Dans ce flou, ceux qui vampirisent l’État se frottent les mains. Sous Jovenel Moïse, l’UCREF et l’ULCC sont, pour le moment, dans la tourmente et avili. Avant, des fonctionnaires de ces institutions faisaient chanter d’honnêtes gens, a balancé le président Jovenel Moïse récemment.
Pour le moment aussi, le moins que l’on puisse dire, c’est que Jovenel Moïse se cherche, fait l’apprentissage de la fonction de président. Il devra peut-être apprendre à éviter la précipitation et la brutalité parce que diriger est à la fois un marathon avec des obstacles à franchir et un témoin à passer aux autres coureurs de son équipe. Équipe ??? Cela requiert un certain niveau de finesse.
Par ailleurs, le président Jovenel Moïse, contrairement à ce qu’il pourrait penser, n’est pas un président populaire comme Jean-Bertrand Aristide, ni une star que certains aiment envers et contre tout comme Michel Martelly. Il est juste l’un d’entre nous. Un fils de paysans avec une histoire personnelle extraordinaire. Au forceps, il a tracé son chemin dans les affaires et reçu l’onction d’une petite partie de l’électorat pour devenir président. C’est son humilité apparente, son discours rassembleur, sa persuasion, le soutien de puissants hommes d’affaires qui ont fait sa force et non les petites phrases comme « le président a parlé, point barre ».
Jovenel Moïse, à n’en pas douter, a la lourde responsabilité de diriger le pays pour les cinq prochaine années. Il ne devrait pas perdre son temps, gaspiller son énergie dans le futile, dans les actions poudre aux yeux. Comme d’autres présidents avant lui, il sera confronté aux difficultés de mi-mandat, quand le temps aura mis à nu les promesses non tenues, quand l’opposition se sera requinquée, alimentée par les incontournables maladresses et fautes du président, de ceux qui sont au pouvoir.
Sans les chars de la Minustah, ce balancier politique, des crises politiques futures peuvent déboucher sur n’importe quoi. La mise en place d’une force de défense, fût-elle sur mesure, peut ne pas représenter un avantage sur l’échiquier politique. A l’équilibre de la terreur, au petit jeu des forces, il serait profitable que le président Jovenel Moïse priorise le dialogue national, dans le respect des différences. Le président Jovenel Moïse doit réussir. Pour lui. Pour nous.
En dépit de ses défauts, René Préval est considéré comme le moins mauvais président de ces trente dernières années. Il n’a insulté personne. Il ne s’est pas pris pour un super homme. Tout en ayant son agenda politique, il est parvenu à rassembler des compétences de différents secteurs et d’horizons divers dans des efforts de réflexions et de propositions d’actions pour le développement. Il n’avait pas regardé de haut le jeune Jovenel Moïse, membre de la commission présidentielle sur la compétitivité. Comme pour dire que diriger un pays n’est pas l’affaire d’un homme, même s’il est fort et bien nourri avec des bouillis de banane…
Roberson Alphonse
Le Nouvelliste
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