Dr Louis Naud Pierre |
Comment arriver à nous ré-inventer, telle est la grande question posée par Michelle Mevs dans un poste sur Facebook en date du 23 juin 2017. En effet, en toile de fond des problèmes économiques et sociopolitiques qui sont parfaitement diagnostiqués, il y a chez nous l’effondrement du sentiment d’identité en tant qu’hommes se définissant autant par la volonté que par le travail qui permet de produire les objets pour satisfaire nos besoins, donc permet de nous adapter au contexte sociohistorique.
En effet, chez la grande majorité d’entre nous, la volonté est effacée par des passions multiformes.
D’un côté, notre sens d’initiative est affaibli par la croyance en la toute-puissance des forces surnaturelles qui conditionnent notre destin. On s’en remet à ces forces pour tout. On est dans le Bondje bon (Dieu est bon). On perd ainsi la maîtrise de notre vie. Cette attitude est mise en scène dans le roman « Gouverneur de la rosée » de Jacques Roumain. L’histoire se déroule à Fonds-Rouge, dans le Sud du pays où la sécheresse bat son plein. Les Habitants qui vivent exclusivement de l’agriculture n’ont plus de revenus, avec tous les effets négatifs en termes de dégradation de leurs conditions d’existence.
La sécheresse, et les calamités qui s’ensuivent, sont vécues comme un mauvais coup du destin. Les Habitants veulent se convaincre que, « comme par magie », les choses s’arrangeront. Alors, « on attend les miracles et la Providence, chapelet en main sans rien faire. On prie pour la pluie, on prie pour la récolte, on dit les oraisons des saints et des loa » (p. 60) ; et ceci, sous fond de haine et de vengeance démesurée. La violence qui en découle est présentée de façon plus expressive dans le quotidien réaliste de chacun des personnages. Manuel, le personnage principal du roman, est la victime de cette violence ; l’une de ses nombreuses victimes.
De l’autre côté, les passions égoïstes – telles que la cupidité, la vanité et l’orgueil – nous envahissent et aboutissent à notre désubjectivation, c’est-à-dire à l’effondrement de notre sens de la responsabilité et de l’engagement envers soi-même et envers les autres. On tombe ainsi sous l’empire de nos pulsions les plus morbides. On en trouve une illustration chez Edgard dans le roman haïtien Les arbres musiciens (1957, Paris, Gallimard). Personnage que Jacques Stephen Alexis décrit en ces termes : « A son avis, la jouissance, le bonheur étaient des conquêtes égoïstes qui se réalisaient au dépens d’autrui… Il fonçait comme la foudre, zigzagant, mais précis, sans frein… De sang, de larmes de sang, de sueurs de sang vivrait toujours le monde » ( p.18).
Par ailleurs, atteints par le syndrome de la colonisation et de l’esclavage, nous perdons le sens du travail. Nous finissons même par croire que mobiliser efficacement nos facultés intellectuelles et physiques pour produire, s’astreindre à discipline et se mettre au service d’autrui qu’implique du travail est une mauvaise chose en soi. Cette attitude négative prend diverses formes : calbindage, lenteur, absentéisme, retard au travail, manque d’investissement, négligence, défaut et manquement dans l’accomplissement de ses tâches, production de services de qualité médiocre, ainsi de suite. Le manque de l’esprit de travail nous rend inaptes à faire fonctionner nos entreprises et notre Administration publique avec un minimum d’efficacité et de performance.
Le chef, le patron, le supérieur hiérarchique, mais aussi le client actualisent dans notre imaginaire collectif la figure du maître, donc suscitent la répulsion. On est de cette façon conduit à investir la figure du maître-colon qui structure nos fantasmes de domination.
Nous ré-inventer signifie réhabiliter l’idée de l’humanité comme perfection de soi qui donne envie d’être parfait, sans défaut, sans malice. Idée qui est détruite par l’expérience de l’esclavage et de la colonisation mettant en exergue la méchanceté et la cruauté des hommes, excités par l’appât du gain. Idée sans laquelle, il n’y a point de repères pour se construire une image idéale de soi à la réalisation de laquelle doivent tendre nos comportements et nos conduites.
La réhabilitation de l’idée de l’humanité comme perfection passe par une révolution culturelle que doit soutenir le Gouvernement d’Haïti.
Dr. Louis Naud Pierre
Port-au-Prince, le 23 juin 2017
En effet, chez la grande majorité d’entre nous, la volonté est effacée par des passions multiformes.
D’un côté, notre sens d’initiative est affaibli par la croyance en la toute-puissance des forces surnaturelles qui conditionnent notre destin. On s’en remet à ces forces pour tout. On est dans le Bondje bon (Dieu est bon). On perd ainsi la maîtrise de notre vie. Cette attitude est mise en scène dans le roman « Gouverneur de la rosée » de Jacques Roumain. L’histoire se déroule à Fonds-Rouge, dans le Sud du pays où la sécheresse bat son plein. Les Habitants qui vivent exclusivement de l’agriculture n’ont plus de revenus, avec tous les effets négatifs en termes de dégradation de leurs conditions d’existence.
La sécheresse, et les calamités qui s’ensuivent, sont vécues comme un mauvais coup du destin. Les Habitants veulent se convaincre que, « comme par magie », les choses s’arrangeront. Alors, « on attend les miracles et la Providence, chapelet en main sans rien faire. On prie pour la pluie, on prie pour la récolte, on dit les oraisons des saints et des loa » (p. 60) ; et ceci, sous fond de haine et de vengeance démesurée. La violence qui en découle est présentée de façon plus expressive dans le quotidien réaliste de chacun des personnages. Manuel, le personnage principal du roman, est la victime de cette violence ; l’une de ses nombreuses victimes.
De l’autre côté, les passions égoïstes – telles que la cupidité, la vanité et l’orgueil – nous envahissent et aboutissent à notre désubjectivation, c’est-à-dire à l’effondrement de notre sens de la responsabilité et de l’engagement envers soi-même et envers les autres. On tombe ainsi sous l’empire de nos pulsions les plus morbides. On en trouve une illustration chez Edgard dans le roman haïtien Les arbres musiciens (1957, Paris, Gallimard). Personnage que Jacques Stephen Alexis décrit en ces termes : « A son avis, la jouissance, le bonheur étaient des conquêtes égoïstes qui se réalisaient au dépens d’autrui… Il fonçait comme la foudre, zigzagant, mais précis, sans frein… De sang, de larmes de sang, de sueurs de sang vivrait toujours le monde » ( p.18).
Par ailleurs, atteints par le syndrome de la colonisation et de l’esclavage, nous perdons le sens du travail. Nous finissons même par croire que mobiliser efficacement nos facultés intellectuelles et physiques pour produire, s’astreindre à discipline et se mettre au service d’autrui qu’implique du travail est une mauvaise chose en soi. Cette attitude négative prend diverses formes : calbindage, lenteur, absentéisme, retard au travail, manque d’investissement, négligence, défaut et manquement dans l’accomplissement de ses tâches, production de services de qualité médiocre, ainsi de suite. Le manque de l’esprit de travail nous rend inaptes à faire fonctionner nos entreprises et notre Administration publique avec un minimum d’efficacité et de performance.
Le chef, le patron, le supérieur hiérarchique, mais aussi le client actualisent dans notre imaginaire collectif la figure du maître, donc suscitent la répulsion. On est de cette façon conduit à investir la figure du maître-colon qui structure nos fantasmes de domination.
Nous ré-inventer signifie réhabiliter l’idée de l’humanité comme perfection de soi qui donne envie d’être parfait, sans défaut, sans malice. Idée qui est détruite par l’expérience de l’esclavage et de la colonisation mettant en exergue la méchanceté et la cruauté des hommes, excités par l’appât du gain. Idée sans laquelle, il n’y a point de repères pour se construire une image idéale de soi à la réalisation de laquelle doivent tendre nos comportements et nos conduites.
La réhabilitation de l’idée de l’humanité comme perfection passe par une révolution culturelle que doit soutenir le Gouvernement d’Haïti.
Dr. Louis Naud Pierre
Port-au-Prince, le 23 juin 2017
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