jeudi 18 mai 2017

100 JOURS DÉJÀ ET APRÈS ?

Dr. Edmonde Supplice Beauzile, Présidente du PFSDH
Nombreux sont ceux qui espéraient que les 100 premiers jours de gouvernance de l’actuel président de la république auraient donné au peuple haïtien une idée si petite soit-elle sur le plan stratégique de la nouvelle administration et sur les chances de voir, dans un avenir proche, des changements qualitatifs dans la vie de nos concitoyens/concitoyennes.  Malheureusement, force est de constater qu’il n’en est rien.  Pas de vision globale des solutions aux problèmes auxquels notre pays fait face ni de leur complexité, mais plutôt des interventions ponctuelles et de la communication à outrance.  Cependant la nouvelle équipe pourrait prétendre à une certaine indulgence, si on accepte de prendre en considération les conditions dans lesquelles le président est arrivé au pouvoir.  En effet, comment aurait-il pu agir autrement quand on sait que :

1. Avant d’arriver au timon des affaires, il venait d’échouer dans ce qui aurait dû être l’affaire de sa vie, une bananeraie moderne qui allait révolutionner l’agro business en Haïti.  Des millions de dollars investis grâce à des prêts complaisamment accordés à partir des deniers publics.  Résultat, des champs en friche et un endettement monumental qui normalement aurait dû conduire à un dépôt de bilan, un jugement déclaratif de faillite ou même à une condamnation pour banqueroute, avec toutes les conséquences de droit que cela implique pour le failli et pour ses droits civils et politiques.

2. Avant même d’assumer la plus haute fonction de l’état, il a fait l’objet d’un rapport accablant de l’Unité Centrale Renseignement Financier (UCREF), ce qui a conduit à son inculpation pour blanchiment.  L’affaire est toujours pendante et pourrait revenir le hanter à n’importe quel moment, pour peu qu’un juge décide de s’armer de courage et faire son travail.  Il n’est même pas certain que la manœuvre grossière et illégale consistant à renvoyer le directeur général par qui le scandale est arrivé, lui permette de s’en sortir à bon compte.

3. Un malheur ne venant jamais seul, l’un de ses meilleurs amis, supporteur zélé pendant la campagne électorale a été arrêté par la Drug Enforcement Administration (DEA).  Guy Philippe est actuellement en prison aux États-Unis d’Amérique où il a finalement décidé de plaider coupable.  Il risque d’être enfermé pour plusieurs décennies à moins qu’il ne livre les noms de certains amis, associés ou complices de ses trafics en tout genre.  Le président n’a rien pu faire pour son ami.  La nomination d’un des lieutenants de ce dernier à un poste important dans le système de sécurité nationale lui a valu la réprobation de beaucoup, au point qu’il a dû s’en défaire.

4.  Il doit faire face à la grogne des bailleurs de fonds qui ont misé sur lui en investissant massivement dans le financement de sa campagne électorale i.e. bien au-delà du plafond des cent millions de gourdes autorisés par la loi électorale.  Apparemment ces derniers seraient loin d’être satisfaits du traitement qui leur a été réservé dans la distribution des postes.

5. La très faible participation aux dernières élections lui confère une légitimité plutôt limitée, ce qui l’oblige à faire beaucoup de gesticulations et à être constamment en campagne pour essayer de combler ce deficit.

A cela il faut ajouter les aléas et autres difficultés de la conjoncture parmi lesquels on peut retenir :

1. Une majorité parlementaire gourmande et imprévisible ;

2. Un gouvernement inexistant, relégué au rang de spectateur de l’activisme d’un président omniprésent ;

3. Des finances publiques en berne avec des recettes fiscales très en-deçà des prévisions ;

4. Une incapacité manifeste à présenter un collectif budgétaire qui aurait pu permettre au nouveau pouvoir de proposer une répartition des dépenses publiques priorisant les programmes et projets du programme politique du gouvernement.  Nous en voulons pour preuve le fait même que pour le lancement des caravanes du changement on a dû mobiliser des ressources non prévues dans la loi de finances ;

5. Une très forte dépréciation de la gourde qui appauvrit encore plus nos compatriotes.  La Banque Centrale est en train d’obtenir quelques succès dans ce domaine, mais à quel prix ?  Certains économistes considèrent les mesures utilisées comme artificielles parce que trop coûteuses en devise, forcément limitées dans le temps et dont les effets ne seront pas durables ;

6. Des crises sociales multiples apparemment pas très bien gérées :

a.Les revendications des enseignants sont justes et incontournables.  Il n’y a plus de place pour les belles promesses, les arriérés de salaire doivent finalement être comptabilisés dans la dette publique interne et un plan de règlement doit être mis en place pour l’éponger le plus rapidement que possible. 

b. Les mouvements des écoliers et des lycéens sont symptomatiques de la gravité de la situation et méritent des actions urgentes pour répondre aux cris de désespoir de nos enfants qui ne demandent qu’à apprendre.

c. Les promesses non tenues risquent de faire repartir les conflits sociaux  et les arrêts de travail dans le secteur hospitalier.

d. La demande de revalorisation du salaire minimum pour permettre à la classe ouvrière de faire face à la hausse permanente du coût de la vie que l’augmentation des prix des produits pétroliers va encore aggraver.

e. Les augmentations programmées des prix des carburants discutées uniquement avec certains syndicats à l’exclusion des autres secteurs concernés de la vie nationale, risquent d’alimenter des mouvements sociaux dont personne ne peut prévoir l’ampleur ni les consequences.

Quand un dirigeant se trouve dans une telle situation, il arrive souvent que sa préoccupation principale ne soit pas de renforcer les institutions ni de mettre la justice en situation de faire son travail de manière indépendante, mais plutôt de protéger ses arrières en écartant tous ceux, toutes celles qui de près ou de loin peuvent continuer à agiter le spectre des conséquences de tout ce qui précède.  La tentation est toujours forte de prendre des mesures spectaculaires susceptibles de donner aux plus crédules, l’impression que les problèmes vont être rapidement résolus.

Malheureusement pour le nouveau pouvoir, le changement ne se décrète pas.  Il ne suffit pas de dire le président a parlé point barre, pour que tout se fasse comme par enchantement.  L’immensité et la complexité des problèmes requièrent une approche différente, si l’on veut vraiment les résoudre efficacement et surtout durablement.  Le temps des présidents je sais tout, je décide de tout, les autres n’ont qu’à suivre, est révolu.

La gestion micro n’est pas toujours transposable sur le plan macro.  On ne conduit pas la politique d’un état comme on dirige une entreprise ou comme on gère un projet.  Dans un pays où tout est prioritaire, il faut être capable de gérer la complexité et traiter de multiples questions à la fois.  Surtout il faut chercher à obtenir l’adhésion d’une masse critique de nos concitoyens, concitoyennes en prenant le temps de les écouter, de discuter avec eux/elles et de les convaincre.  En cette matière il est aisé d’obtenir quelques applaudissements faciles en curant des canaux d’irrigation, surtout quand on le fait à grand renfort de publicité avec un cortège impressionnant.  Mais cela ne suffit pas, loin s’en faut.

Pour développer notre pays, pour le faire sortir de la misère, de la corruption, de la mauvaise gouvernance, il faut plus, il faut mieux que du spectacle et de la propagande.  Il faut une vision, il faut projet national, il faut une mobilisation de toutes les énergies pour créer les conditions nécessaires en vue d’attirer les investissements indispensables pour booster la croissance créer des emplois durables et bien rémunérés, seul moyen de réduire les inégalités dans notre pays.

Après cent jours à la tête de l’état on attend toujours des tenants du pouvoir, l’annonce des états généraux sectoriels promis.  Le concept peu compréhensible, certes, laissait entrevoir une voie vers un dialogue, même s’il mériterait d’être affiné pour mieux répondre aux nécessités du moment.  Peut-être est-on toujours en train de réfléchir pour ne pas galvauder une démarche qui peut nous être fort utile si nous l’utilisons à bon escient.  Pour sortir du marasme qui nous accable, il y a une urgente nécessité de rassembler tous les haïtiens, toutes les haïtiennes sans exclusive autour d’un projet commun pour notre pays.  À la FUSION nous disons depuis très longtemps que cela passe un pacte de gouvernabilité.  Le pouvoir exécutif est le mieux placé pour prendre une telle initiative et en garantir le succès.  Les défis qui sont devant nous sont énormes et les risques sont multiples.  Ils sont politiques, électoraux, constitutionnels, sociaux, économiques, alimentaires, climatiques et j’en passe.  Ils n’attendront pas qu’on en finisse avec les caravanes pour qu’on commence à s’en préoccuper.  À bon entendeur, Salut.

Edmonde Supplice Beauzile

Présidente du PFSDH

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