Dr. Edmonde Supplice Beauzile, Présidente du PFSDH |
Nombreux sont
ceux qui espéraient que les 100 premiers jours de gouvernance de l’actuel
président de la république auraient donné au peuple haïtien une idée si petite
soit-elle sur le plan stratégique de la nouvelle administration et sur les
chances de voir, dans un avenir proche, des changements qualitatifs dans la vie
de nos concitoyens/concitoyennes.
Malheureusement, force est de constater qu’il n’en est rien. Pas de vision globale des solutions aux
problèmes auxquels notre pays fait face ni de leur complexité, mais plutôt des
interventions ponctuelles et de la communication à outrance. Cependant la nouvelle équipe pourrait
prétendre à une certaine indulgence, si on accepte de prendre en considération
les conditions dans lesquelles le président est arrivé au pouvoir. En effet, comment aurait-il pu agir autrement
quand on sait que :
1. Avant
d’arriver au timon des affaires, il venait d’échouer dans ce qui aurait dû être
l’affaire de sa vie, une bananeraie moderne qui allait révolutionner l’agro
business en Haïti. Des millions de
dollars investis grâce à des prêts complaisamment accordés à partir des deniers
publics. Résultat, des champs en friche
et un endettement monumental qui normalement aurait dû conduire à un dépôt de
bilan, un jugement déclaratif de faillite ou même à une condamnation pour
banqueroute, avec toutes les conséquences de droit que cela implique pour le
failli et pour ses droits civils et politiques.
2. Avant
même d’assumer la plus haute fonction de l’état, il a fait l’objet d’un rapport
accablant de l’Unité Centrale Renseignement Financier (UCREF), ce qui a conduit
à son inculpation pour blanchiment.
L’affaire est toujours pendante et pourrait revenir le hanter à
n’importe quel moment, pour peu qu’un juge décide de s’armer de courage et
faire son travail. Il n’est même pas
certain que la manœuvre grossière et illégale consistant à renvoyer le
directeur général par qui le scandale est arrivé, lui permette de s’en sortir à
bon compte.
3.
Un
malheur ne venant jamais seul, l’un de ses meilleurs amis, supporteur zélé
pendant la campagne électorale a été arrêté par la Drug Enforcement
Administration (DEA). Guy Philippe est
actuellement en prison aux États-Unis d’Amérique où il a finalement décidé de
plaider coupable. Il risque d’être
enfermé pour plusieurs décennies à moins qu’il ne livre les noms de certains
amis, associés ou complices de ses trafics en tout genre. Le président n’a rien pu faire pour son
ami. La nomination d’un des lieutenants
de ce dernier à un poste important dans le système de sécurité nationale lui a
valu la réprobation de beaucoup, au point qu’il a dû s’en défaire.
4.
Il
doit faire face à la grogne des bailleurs de fonds qui ont misé sur lui en
investissant massivement dans le financement de sa campagne électorale i.e.
bien au-delà du plafond des cent millions de gourdes autorisés par la loi
électorale. Apparemment ces derniers
seraient loin d’être satisfaits du traitement qui leur a été réservé dans la
distribution des postes.
5. La
très faible participation aux dernières élections lui confère une légitimité
plutôt limitée, ce qui l’oblige à faire beaucoup de gesticulations et à être
constamment en campagne pour essayer de combler ce deficit.
A cela il faut
ajouter les aléas et autres difficultés de la conjoncture parmi lesquels on
peut retenir :
1.
Une
majorité parlementaire gourmande et imprévisible ;
2. Un
gouvernement inexistant, relégué au rang de spectateur de l’activisme d’un
président omniprésent ;
3. Des
finances publiques en berne avec des recettes fiscales très en-deçà des
prévisions ;
4. Une incapacité
manifeste à présenter un collectif budgétaire qui aurait pu permettre au
nouveau pouvoir de proposer une répartition des dépenses publiques priorisant
les programmes et projets du programme politique du gouvernement. Nous en voulons pour preuve le fait même que
pour le lancement des caravanes du changement on a dû mobiliser des ressources
non prévues dans la loi de finances ;
5. Une
très forte dépréciation de la gourde qui appauvrit encore plus nos
compatriotes. La Banque Centrale est en
train d’obtenir quelques succès dans ce domaine, mais à quel prix ? Certains économistes considèrent les mesures
utilisées comme artificielles parce que trop coûteuses en devise, forcément
limitées dans le temps et dont les effets ne seront pas durables ;
6. Des
crises sociales multiples apparemment pas très bien gérées :
a.Les
revendications des enseignants sont justes et incontournables. Il n’y a plus de place pour les belles
promesses, les arriérés de salaire doivent finalement être comptabilisés dans
la dette publique interne et un plan de règlement doit être mis en place pour
l’éponger le plus rapidement que possible.
b. Les
mouvements des écoliers et des lycéens sont symptomatiques de la gravité de la
situation et méritent des actions urgentes pour répondre aux cris de désespoir
de nos enfants qui ne demandent qu’à apprendre.
c. Les
promesses non tenues risquent de faire repartir les conflits sociaux et les arrêts de travail dans le secteur
hospitalier.
d. La
demande de revalorisation du salaire minimum pour permettre à la classe
ouvrière de faire face à la hausse permanente du coût de la vie que
l’augmentation des prix des produits pétroliers va encore aggraver.
e. Les
augmentations programmées des prix des carburants discutées uniquement avec
certains syndicats à l’exclusion des autres secteurs concernés de la vie
nationale, risquent d’alimenter des mouvements sociaux dont personne ne peut
prévoir l’ampleur ni les consequences.
Quand un
dirigeant se trouve dans une telle situation, il arrive souvent que sa
préoccupation principale ne soit pas de renforcer les institutions ni de mettre
la justice en situation de faire son travail de manière indépendante, mais
plutôt de protéger ses arrières en écartant tous ceux, toutes celles qui de
près ou de loin peuvent continuer à agiter le spectre des conséquences de tout
ce qui précède. La tentation est
toujours forte de prendre des mesures spectaculaires susceptibles de donner aux
plus crédules, l’impression que les problèmes vont être rapidement résolus.
Malheureusement
pour le nouveau pouvoir, le changement ne se décrète pas. Il ne suffit pas de dire le président a parlé
point barre, pour que tout se fasse comme par enchantement. L’immensité et la complexité des problèmes
requièrent une approche différente, si l’on veut vraiment les résoudre
efficacement et surtout durablement. Le
temps des présidents je sais tout, je décide de tout, les autres n’ont qu’à
suivre, est révolu.
La gestion micro
n’est pas toujours transposable sur le plan macro. On ne conduit pas la politique d’un état
comme on dirige une entreprise ou comme on gère un projet. Dans un pays où tout est prioritaire, il faut
être capable de gérer la complexité et traiter de multiples questions à la
fois. Surtout il faut chercher à obtenir
l’adhésion d’une masse critique de nos concitoyens, concitoyennes en prenant le
temps de les écouter, de discuter avec eux/elles et de les convaincre. En cette matière il est aisé d’obtenir
quelques applaudissements faciles en curant des canaux d’irrigation, surtout
quand on le fait à grand renfort de publicité avec un cortège
impressionnant. Mais cela ne suffit pas,
loin s’en faut.
Pour développer
notre pays, pour le faire sortir de la misère, de la corruption, de la mauvaise
gouvernance, il faut plus, il faut mieux que du spectacle et de la
propagande. Il faut une vision, il faut
projet national, il faut une mobilisation de toutes les énergies pour créer les
conditions nécessaires en vue d’attirer les investissements indispensables pour
booster la croissance créer des emplois durables et bien rémunérés, seul moyen
de réduire les inégalités dans notre pays.
Après cent jours
à la tête de l’état on attend toujours des tenants du pouvoir, l’annonce des
états généraux sectoriels promis. Le
concept peu compréhensible, certes, laissait entrevoir une voie vers un
dialogue, même s’il mériterait d’être affiné pour mieux répondre aux nécessités
du moment. Peut-être est-on toujours en
train de réfléchir pour ne pas galvauder une démarche qui peut nous être fort
utile si nous l’utilisons à bon escient.
Pour sortir du marasme qui nous accable, il y a une urgente nécessité de
rassembler tous les haïtiens, toutes les haïtiennes sans exclusive autour d’un
projet commun pour notre pays. À la
FUSION nous disons depuis très longtemps que cela passe un pacte de
gouvernabilité. Le pouvoir exécutif est
le mieux placé pour prendre une telle initiative et en garantir le succès. Les défis qui sont devant nous sont énormes
et les risques sont multiples. Ils sont
politiques, électoraux, constitutionnels, sociaux, économiques, alimentaires,
climatiques et j’en passe. Ils
n’attendront pas qu’on en finisse avec les caravanes pour qu’on commence à s’en
préoccuper. À bon entendeur, Salut.
Edmonde Supplice
Beauzile
Présidente du PFSDH
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