lundi 29 mai 2017

La revalorisation du salaire minimum: une revendication légitime

   Edmonde SUPPLICE BEAUZILE
Présidente du Parti Fusion des Sociaux-Démocrates Haïtiens
Pour une approche plus apaisée des rapports sociaux

Par Edmonde SUPPLICE BEAUZILE

Depuis quelques semaines les revendications sociales de divers secteurs de la vie nationale rappellent tant aux pouvoirs publics qu’aux patrons haïtiens que la situation économique et financière de leurs salariés est extrêmement difficile. Qu’ils soient enseignants, personnels hospitaliers ou ouvrières dans le secteur textile et de la sous-traitance, tous ont droit à notre compréhension et à notre soutien indéfectible, car leurs demandes sont légitimes. Ces conflits sociaux sont une occasion de montrer que nous avons un problème sérieux dans la manière dont les rapports sociaux entre employeurs publics ou privés et employés s’articulent dans notre pays. Si nous ne revisitons pas notre mode de faire dans ce domaine nous allons avoir beaucoup de mal à attirer les investissements étrangers. Il faut un véritable changement d’attitude de la part des partenaires sociaux. En effet qui voudra venir investir des millions de dollars dans notre pays s’il sait qu’il aura à faire face en permanence à des mouvements sociaux perturbateurs ? Par ailleurs comment peut-on croire que des êtres humains normalement constitués puissent accepter indéfiniment sans broncher de se faire exploiter pour un salaire de misère ne leur permettant même pas de faire vivre leur famille ? Ce n’est pas une fatalité que leurs relations se traduisent systématiquement par des confrontations violentes. 

Les ouvriers de la sous-traitance réclament un salaire minimum à huit cents (HTG800,00) gourdes par journée de huit (8) heures. Avant toute négociation sérieuse, nombreux sont ceux qui même au sommet de l’état prennent fait et cause pour le patronat et proclament qu’ils exagèrent et qu’ils en demandent trop. Quand on sait que le patronat refuse souvent d’entendre parler d’augmentation de salaire, il est normal que les salariés en demandent un peu plus pour espérer obtenir quelque chose d’acceptable. Ils auraient pu demander mille gourdes (HTG1.000,00) ou même plus. Pourquoi doit-on toujours parler de salaire minimum pour les ouvriers de façon indiscriminée. Est-ce qu’un ouvrier du textile, des industries d’assemblage ou autres doit attendre uniquement la revalorisation du salaire minimum pour obtenir une augmentation. Son ancienneté, son expérience, ses apprentissages n’ont-ils aucune valeur pour les employeurs ? Quand est-ce qu’un ouvrier qui s’éreinte dans ces entreprises pourra-t-il espérer voir un minimum de progrès dans ses conditions d’existence, faire l’acquisition d’une résidence décente, s’acheter un véhicule, une moto, payer l’université pour ses enfants, espérer une retraite paisible, etc.?

J’ai toujours eu du mal à accepter que depuis près de cinquante (50) ans, l’avantage comparatif du travailleur haïtien soit réduit à son acceptation des salaires les plus bas de l’hémisphère américain ni que l’argument majeur pour faire accepter leur condition à nos ouvriers est de les menacer en leur disant que s’ils ne l’acceptent pas, les commandes iront au Sri Lanka ou au Bengladesh. Cette compétition à la baisse entre les damnés de la terre, arbitrée par les multinationales du textile, de la confection est tout simplement inacceptable. Le but étant de faire du chantage aux pauvres pour savoir qui acceptera le plus docilement de se faire le plus exploité pour des salaires de misère. Ces pratiques d’esclavage moderne sont intolérables et doivent être dénoncées. En plein 21ème siècle, le pays précurseur de l’abolition de l’esclavage ne peut pas continuer à tirer argument de la docilité de sa main d’œuvre non syndiquée et encore moins du fait que nos compatriotes sont tellement misérables qu’ils accepteront de travailler dix heures ou douze heures par jour pour une bouchée de pain. L’allusion à l’esclavage moderne n’est pas exagérée. Les propriétaires d’esclaves investissaient dans l’entretien de ceux-ci, question de s’assurer qu’ils sont en bonne forme pour travailler de longues heures dans les plantations sans recevoir de salaire. Aujourd’hui, les salaires ridiculement faibles que nos démunis sont obligés d’accepter volontairement servent à peine à les nourrir et à les entretenir pour qu’ils puissent continuer à produire.

En tant que mère de famille j’aimerais demander à nos patrons, à nos experts en management d’entreprise, à nos détenteurs de MBA (Master en Business Administration) ou de doctorat en économie de me dire comment un père de famille ou une mère célibataire avec quatre ou cinq enfants peut arriver à survivre avec un budget de deux cents ou trois cents gourdes par jour de travail, quand on sait qu’il ou elle doit payer un loyer dans un quartier pourri, payer l’écolage de ses enfants, acheter des livres, les nourrir disons deux fois ou une fois par jour, les habiller, payer des frais de transport aller-retour pour quatre personnes, faire face aux imprévus et aux maladies etc. Je suis certaine qu’aucun de nos “savé” ne peut y parvenir. Et pourtant ils sont des milliers à être confrontés tous les jours à cette équation insoluble, obligés qu’ils sont de tirer le diable par la queue pour affronter la faim, la peur du lendemain, le regard de leurs enfants auxquels ils ne peuvent rien offrir….

La solution réside dans le dialogue social. Haïti n’est pas le Japon où les salariés quand ils veulent faire passer une revendication se contente de mettre un brassard jaune pour signifier leur insatisfaction à leurs patrons. Ces derniers comprennent immédiatement le message et ouvre automatiquement des négociations. Si les discussions trainent, les salariés tout en restant à leurs postes de travail changent la couleur de leur brassard et le message passe. Un compromis est trouvé à la satisfaction de tous sans qu’une seule journée de travail ne soit perdue ni pour les salariés, ni pour l’employeur. Haïti n’est pas le Japon et les haïtiens ne sont pas des japonais. Ce n’est pas demain la veille que l’on verra de tels comportements chez nous. Cependant, dans la nouvelle Haïti que nous appelons de nos vœux, les patrons et les salariés doivent apprendre à se parler, à négocier, à chercher des solutions ensemble avec la volonté d’aboutir à un résultat gagnant/gagnant. La vraie réussite dans un dialogue social, ce n’est pas de savoir qui a gagné ou qui a cédé, mais plutôt de se dire après une bonne négociation que l’on est parvenu à une entente intelligente dans l’intérêt collectif et individuel.

Il n’est pas acceptable que l’institution chargée de proposer les ajustements du salaire minimum ne soit même pas opérationnelle et qu’il ait fallu attendre que la production s’arrête, que les ouvriers soient dans la rue pour qu’on s’en rende compte et qu’on fasse les démarches pour la ressusciter. C’est la preuve du peu de cas que les pouvoirs politiques font de la situation de nos ouvriers. Il n’est pas acceptable non plus que les engagements pris à l’occasion des négociations sociales ne soient pas respectés et que les salariés soient obligés de gagner les rues pour se faire entendre. Une autre gouvernance sociale plus responsable doit être instaurée entre les acteurs sociaux.

La réponse aux revendications des salariés ne saurait être uniquement les révocations punitives, la saisie des téléphones de ceux qui osent filmer la répression et les brutalités policières gratuites contre des haïtiennes et des haïtiens qui ont pour seul tort d’être des pauvres et d’oser contester l’exploitation de leur courage pour des salaires de misère. Les salariés de leur côté doivent comprendre que leur comportement, leur manière de revendiquer leurs droits légitimes, ne doivent pas envoyer une image qui fasse fuir les investisseurs. Patrons et employés doivent comprendre que si leurs intérêts sont parfois antagoniques, ils sont à bord du même bateau et qu’ils ont besoin l’un de l’autre.  

La question de la fixation des salaires est toujours un problème complexe. Tout le monde sait aujourd’hui qu’il n’y a pas que le montant nominal du salaire minimum qui importe, c’est l’augmentation du pouvoir d’achat et l’amélioration de la qualité de vie qui sont déterminantes. Si on augmente les salaires et que dans le même temps la monnaie se déprécie tous les jours, si la faiblesse de la production nationale nous oblige à dépendre des importations pour les produits de première nécessité, il est évident que l’inflation va rogner le pouvoir d’achat en permanence et obligera les salariés à être perpétuellement en mode revendication.

La FUSION appuie fermement les justes revendications des divers groupes sociaux qui se mobilisent ces jours-ci et particulièrement ceux qui revendiquent la revalorisation du salaire minimum. Si l’on n’y prend point garde, tout ceci peut déboucher sur une déstabilisation politique aux conséquences imprévisibles. Il est possible cependant, de transformer ces luttes sociales en opportunité pour apporter un changement qualitatif dans les relations entre les partenaires sociaux et révolutionner le dialogue social en Haïti. La réponse à cette question devrait figurer dans le pacte de gouvernabilité dont la FUSION souhaite l’adoption. Le projet national commun pour le pays devrait inclure cette nouvelle approche pour une gouvernance sociale apaisée, passage obligé pour offrir un environnement attractif pour les investissements créateurs d’emplois durables et bien rémunérés.

Port-au-Prince, le 28 mai 2017

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